2015 ـ oxyde de l ‘âme

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Souf abid

Traduits de l’arabe par

Abdelmajid YOUCEF

Le traducteur 

Né à Tebourba à l’Ouest de Tunis

en 1954 et résident à Sousse

Nouvelliste, poète, essayiste et traducteur tunisien.

Contact : lettros54@gmail.com

Dédicace

A mon ami SOUF

Ce travail vous est dédié,

il est le témoin

d’une amitié sans faille qui dure depuis 1986.

A tous mes amis du club de poésie

Abou –Al- Qasim Chebbi

de Tunis

A Sihem SFAR

( ma complice)

Abdelmajid YOUCEF

Prologue

Maintenant que j’ai vu le monde

trainer des biles et des fausses tranquillités

maintenant, oui, je pense à l’unique

chose

sincère

et rouge comme le sang

des anciennes gravures

sincère comme les feuilles de l’arbre

qui mangent mon visage.

Maintenant,

oui,

anciens remords de

sang

de

pluie

maintenant

oui

je pense à l’unique présence…..

Jep Gouzy

(Poète catalan)

Saga de l’amour1

Invité

Sur la face de la mer

une case en roseau.

A l’intérieur: une natte.

Sur la natte, une robe de peine.

Dans la poêle

une danse

dont émane une odeur.

C’est la sirène ,

préparant du poisson

à l’honneur de l’invité

venu du désert.

Rencontre

A travers les bouts des doigts,

ce fut la rencontre entre mer et désert.

Nous fîmes nos ablutions

sans eau ni sable,

quand une antilope plongea dans la mer

et qu’un poisson se faufila

entre les dunes.

Réception

Un champ.

Une graine.

Une peine.

Une rose qui veille

dans la salle des fêtes.

Une épine qui dort

dans la main du jardinier.

Cravate

L’homme à la chemise blanche,

à la cravate de satin ;

contemple la glace.

Peut-être, s’attendrait-il

à voir pendu,

l’homme d’en face ?

La terre

La terre ne fut jamais fatiguée ,

ne fut jamais sous l’emprise de la lassitude.

Malheur à elle !

Si elle savait

qu’elle n’était qu’une sphère de sang.

Blancheur

Oh monsieur le maire !

Autorisez les dames 1

à marcher dans mon cortège funèbre.

Dans sa robe noire de deuil,

combien elle est belle, ma bien aimée !

Les noces

Derrière les dunes,

le soleil agita sa main

ornée de henné.

Bonsoir alors, main de vierge

qui tremble, la nuit de ses noces !

Mais, de l’autre côté,

le soleil se piqua la main

avec l’aiguille de l’aube,

puis alluma ses doigts en bougies.

Noms

Les gens de mon village

donnent aux nouveau-nés

les noms des grands- parents,

qui, eux-mêmes avaient reçu

les noms des aïeux.

Ainsi, les noms ressurgissent-ils

sans jamais quitter la pierre tombale.

Le rendez-vous

L’amoureuse pauvre

a un souci :

comment faire pour aller demain

au rendez-vous de la plage ?

Pas de problème,

elle se lavera uniquement d’eau claire ;

d’un chiffon, elle brossera ses escarpins.

Quant à ses cheveux,

elle en fera une tente

trempée d’eau,

sous le ciel serein.

Le lendemain ce fut la baignade ;

une eau ruisselante dans l’eau.

Courrier

*Lui

Il fit de sa lettre une barque.

Il donna la barque aux vagues.

Il demeura à lire bleu sur bleu.

*Elle

Elle fit de sa lettre un cerf-volant

qu’elle fit envoler haut et loin.

Dans l’étendue, là où se rencontrent ciel et mer

deux mains se touchèrent.

La tête

Cette tête qu’est la mienne,

en noir et blanc,

est un échiquier

dont les pions sont imbibés de sang

et dont les cavaliers sont rongés par la vieillesse.

Cette tête qu’est la mienne

est un carré…. un rectangle,

une vieille caisse dont les planches sont usées

.des feuilles d’étain et des clous.

Cette tête qu’est la mienne,

circulaire et ronde,

est un ballon de foot,

un champ de guerre et de famine.

Elle porte toutes les peines du monde.

Enfants du monde entier !

Venez ! Jouez de ma tête

dans la rue.

Les choses

Il y a des choses qui nécessitent

– pour être- l’élixir du temps.

L’herbe de l’âme, par exemple,

pour grimper les murs de la sépulture ;

le printemps pour partir puis revenir…

Il y a des choses qui exigent le balai du temps

comme tant de choses passées :

la bague magique,

la légende de l’ogre,

le roi de perse…

Il y a des choses qui

exigent des choses

comme le sang

à payer pour la liberté.

Discours d’oiseaux

La huppe :

explorateur d’horizons,

messager des oiseaux,

à la cour des amoureux.

Le canard 

un voile blanc

sur la sérénité du lac.

La colombe

une aile pour le chasseur,

une aile pour la paix.

La chouette :

ses yeux : deux tireurs

dans le couvre feu.

Le paon :

du rouge à lèvre

et un miroir.

Le rossignol

un poisson dans une cage.

C’est pourquoi le perroquet du guignol

déforme les paroles

et dit : la liberté, c’est prohibé.

Le mouchoir

Il est probable

que le fleuve s’ennuie

de suivre ses habitudes,

laisse son lit pour revenir sur ses pas vers la source.

Le soleil pourrait un matin se lever

les yeux bandés d’un sommeil lourd,

se tromperait de porte

et se lèverait par l’ouest.

Toutefois une feuille morte

ne reviendra jamais à la branche.

Après cent ans de ma disparition,

de la profondeur de soixante-dix pieds

dans la fosse,

malgré la ruée du ciment et de l’acier,

mes doigts s’infiltreraient dans la terre,

comme des racines d’olivier,

pour te remettre un mouchoir

que tu aurais perdu dans la foule.

la porte

À Mahmoud Shiii2

Le soleil , une fine pluie sur la cité.

Au fond de la rue une porte

entrouverte.

Sur le seuil, deux ombres.

Parole de voisine à voisine.

Maçonnerie

Après avoir accumulé les briques,

les sacs de ciment,

les barres d’acier,

même les portes et les fenêtres

étaient rangées dans un coin,

le maître maçon jeta un dernier coup d’œil

sur les plans,

puis dit aux ouvriers :

vous pouvez à présent procéder

à démolir

la vieille maison.

Traversée

La jeune fille de l’oasis,

en traversant le babillage du ruisseau,

releva un peu sa robe.

Le marbre brilla,

scintilla l’ombre d’une étoile

dissimulée en haut.

Mon premier ramadhan

Voilà le croissant de mon premier ramadhan,

un ramadan d’été,

un été de terrasses,

d’eau rafraichie de glaçons,

aromatisée de fleur d’oranger,

un été de thé à la menthe.

Mon père offre à chacun son lot de trois dattes

avec un récital de versets

et des prières.

Tous les yeux s’orientent vers lui

alors qu’il grimpe le minaret vers le septième ciel.

Arrive au sommet.

S’arrête.

Refait son habit, jette ses pans sur l’épaule,

puis…

exhibe une montre de poche.

Il déclenche la lumière du sommet,

puis se montre à la fenêtre méridionale ….

Lapsus

la maîtresse écrit sur le tableau

« chaque fois que je vois une cage,

l’oiseau me vient en tête ».

l’élève lit :

« chaque fois que je vois une cage,

la liberté me vient en tête ».

Orientation

Le voyageur s’arrêta pour se renseigner.

  • à droite puis à gauche.

  • merci.

  • à gauche puis à droite.

  • merci.

Le voyageur reprit sa valise et alla tout droit.

La sirène

Une étendue.

Les barques prennent le large

amenant les tresses des femmes amoureuses

pour que la mer les rejette

vers le miroir céleste.

L’homme assis

sur l’écume des ténèbres,

avec un roseau à la main,

depuis le lever jusqu’ au coucher.

Met de ses doigts en appât

si le ver lui manque.

Les barques reviennent.

Les jours défilent.

Oh, ligne de la vie !

La sirène ne mord pas à l’hameçon.

Collyre

La dame,

née sous le signe de l’eau,

s’assit à contempler la mer.

En partant,

les poissons miroitaient dans ses yeux.

Carthage

Sa main droite

sous le sein.

Sa main gauche entre les jambes.

Doucement, il l’attire vers lui.

Sa tête est entre les seins.

Il la remue de-ci, de-là.

La femme nue ne remue pas

le petit bout du doigt.

Très doucement,

l’ouvrier amene la statue de marbre

à l’intérieur du musée.

Le mot qui manque

En pleine agonie

te submergera à la gorge

une parole

qui avait échoué depuis belle lurette

au fond de l’encrier.

Quand tu en susurreras la première lettre

on t’aurait mis déjà en fosse

pour se ranger ensuite,

afin de recevoir les condoléances.

Rouge sur blanc

Une joue rose.

Une lèvre rouge.

Des ongles vermeil.

La main épluche des graines d’ail.

Une fenêtre estivale

donnant sur la maison des voisins.

La jeune fille des voisins,

dans le patio,

écorce l’amande du cœur.

L’éventail

C’est l’été,

l’éventail de la jeune femme

passe à gauche : un cyprès, un jasmin ;

passe à droite :

une lune, une mélodie

C’est l’hiver.

Un vent du Nord.

Un vent du Sud.

Entre nous, une distance de braise.

Tunis ici et maintenant

Un avocat dans sa robe

debout au milieu de la place

à réglementer le trafic.

Des écoliers

sur le trottoir relèvent les ordures.

Un marchand, sur sa camionnette,

distribue des fruits gratis.

Un bouquet de roses fraîches

sur le canon d’un blindé.

Une manifestation arrive par la grande avenue.

Rien n’étonne aujourd’hui à Tunis.

Les manifestants sont des policiers.

Le plus étonnant c’est que

j’ai vue Ibn khaldoun

debout dans sa statue

en pleine foule

écrivant de sa main

une nouvelle page de L’Introduction.3

Salah Garmadi4

C’était l’hiver.

Tu laissas à la cheminée

les braises se consumer peu à peu.

Il faisait noir,

ta chambre resta allumée jusqu’au matin.

Le temps était aveugle,

c’est pourquoi tu laissas tes lunettes

posées sur la dernière page.

Parce que le monde était une citadelle de cuivre,

tu te dérobas à l’aube

alors que nous dormions sur nos deux oreilles.

Fleurs

Dans un coin, un vase en cuivre,

une toile d’araignée.

Le vase s’attend-il à recevoir un bouquet de fleurs ?

ou bien souhaite-il

le retour d’un printemps passé ?

La rose

J’’étais en perpétuel voyage.

Lors d’un périple, j’eus pour compagnon une rose.

Elle était splendide, rouge flambante 

J’eus l’idée de la cueillir,

puis je renonçai, de peur de la profaner.

Arrivé à destination, je trouvai ma rose, là, fanée

prise de main en main.

Rencontre

Debout, au coin d’un café,

ils levèrent leurs vers

à l’honneur de la blancheur.

Mise en liberté

Emprisonné à perpétuité,

il dessina sur le mur de sa cellule une porte,

et en sortit.

Moisson

Malheur à l’épi !

il s’approche de la guillotine

à mesure qu’il grandit.

Doigts

Très doux, les chatouillements des fourmis sur la peau.

Ouvre alors ta fenêtre,

tends la main vers le bas

pour toucher le lac frôlant le mur,

trempe les doigts dans l’eau

comme on trempe

un morceau de sucre

dans l’amertume du café.

Repos

L’homme qui, de coutume,

se réveille tôt le matin,

polit son visage à la hâte,

l’homme qui se presse de jeter ses membres dans l’habit,

déverse rapidement sa tasse de café dans sa bouche,

s’embarque dans le train puis s’en débarque

à vive allure….

Cet homme, aujourd’hui, dort pleinement,

met son costume tout blanc,

puis, tout doucement,

descend dans la fosse.

L’armoire

Deux ans après sa disparition, 

nous ouvrîmes l’armoire de mon père.

Dans mon lot : son chapelet,

dans celui de mon frère : sa montre.

Le cadet eut sa photo ;

Le benjamin : ses lunettes.

Nous fermâmes l’armoire,

laissant la bague à notre sœur.

Devant le miroir

Quand Ève se met du collyre

chaque matin

c’est dans l’intention de voir se défiler

lentement

les rêves de la veille.

Quand elle se met du rouge à lèvres

c’est dans le but de se rappeler

à chaque mot qu’elle prononce, le gout de la pomme.

Ève se farde les joues

une fois, deux , 

s’approche du miroir,

se persuade qu’elle est au paradis.

Maintenant elle est rassurée

qu’ Adam, à ouvrir les yeux et la voir

ne prête aucune attention au monde.

عيون

زرقاء العينين

توغّلت في الغابة

صارت الغابة بحرا

الأشجار أمواجا

الأطيار أسماكا

خضراء العينين

غاصت في البحر

صار البحر غابة

الأمواج أشجار

الأسماك أطيارا

ذات العصا البيضاء

ليت الشمس

وضحاها

والقمر إذا تلاها

في عينيها

Yeux

La fille aux yeux bleus

s’enfonce dans la forêt .

La forêt devient mer .

Les arbres des vagues .

Les oiseaux des poissons.

La fille aux yeux verts

se jette dans la mer .

La mer devient forêt .

Les vagues des arbres .

Les poissons des oiseaux.

La fille à la canne blanche,

j’aimerais être un soleil matinal,

une lune nocturne

émanant de ses yeux.

Clef

A Kamel HAMDIi5

Après dix ans de cellule

ses doigts apprirent

les détails les plus minutieux :

couture, lessive, griffonnages, graffiti sur le mur, bouquiner…..

Ils apprirent tout, mais oublièrent

comment manipuler une clef

et ouvrir une porte.

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1 Chez les musulmans, les femmes ne sont pas autorisées à participer à une telle manifestation.

2 Peintre de l’école de Tunis né en 1931

3 L’Introduction est ouvrage d’Ibn Khaldoun (1332-1406) dans lequel il expose ce qi est considéré comme la base de la sociologie moderne.

4 Salah GARMADI (1933-1982) universitaire linguiste, poète ,nouvelliste et traducteur polyglotte tunisien, mort accidentellement

5 Poète tunisien, ancien prisonnier politique de l’époque de Ben Ali